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SA – Possibilité de prévoir statutairement une conversion flexible entre le modèle d’administration de l’administrateur unique et de l’administration moniste

Avis 2023/004

21/06/2024

1. Description de la question

Sur la base du Code des sociétés et des associations (CSA), la société anonyme peut opter dans ses statuts pour un administrateur unique ou un conseil d’administration.

Les statuts d’une SA peuvent-ils prévoir, par le biais d’une clause générale, que la société peut, sans modification des statuts, passer d’un modèle d’administration avec un administrateur unique à un modèle d’administration avec un conseil d’administration (et inversement), éventuellement en fonction du nombre d’administrateurs nommés et/ou d’autres modalités prévues dans les statuts ?[1]

2. Disposition(s) légale(s) applicable(s)

Art. 7:85, § 1er, al. 1er, CSA :

« La société est administrée par un organe d’administration collégial, appelé conseil d’administration, qui compte au moins trois administrateurs, personnes physiques ou morales. »

Art. 7:101, § 1er, al. 1er, CSA :

« Les statuts peuvent prévoir que la société est administrée par un administrateur unique, qui peut être nommé dans les statuts. »

3. Doctrine pertinente

P. Baert, «Art. 7:85 WVV», in X, Vennootschappen en verenigingen – Artikelsgewijze commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer, Malines, Kluwer, 2020, p. 6-7.

P. Bossard, CSA – Examen systématique du nouveau droit des sociétés non cotées et des associations, Limal, Anthemis, 2020, p. 521.

G. Callens, A. Cautaerts, H. Culot, Y. De Cordt, G. De Pierpont, T. Flament, E. Fosseprez, J.-M. Gollier, A. Hannouille et N. Tissot, Société anonyme – deuxième édition in Répertoire pratique du droit belge, Bruxelles, Larcier, 2021, p. 255.

H. De Wulf et M. Wyckaert, « Governance onder het WVV: bestuur, algemene vergadering en related party transactions », in H. De Wulf en M. Wyckaert (eds.), Het WVV doorgelicht, Bruxelles, Intersentia, 2021, p. 194 et 199.

R. Houben, «De bestuurder – Beschouwingen over bijkomende vereenvoudiging, flexibiliteit, uniformiteit – maar tegelijk over een verdere afslanking van de vennootschapsvormen», TRV 2022, éd. 3, p. 131.

E. Leroux, «Verdeling van bestuursbevoegdheden in de naamloze vennootschap», in X, Bestuur in de NV, Mortsel, Intersentia, 2022, p. 6.

K. Maresceau, De nieuwe vennootschapswet – een eerste commentaar, Kluwer, Malines, 2019, p. 71.

B. Tilleman et K. Dewaele, Bestuur van vennootschappen in Recht en onderneming, Bruges, die Keure, 2022, p. 101.

S. Van Haute et H. Jansen, “Bestuur”, in X, De NV in de praktijk¸ Malines, Kluwer, 2021, p. WVV-I.4.2 – 1 – 2.

Institut des réviseurs d’entreprises, « Communication 2019/09 concernant la loi du 23 mars 2019 introduisant le Code des sociétés et des associations et portant des dispositions diverses », Bruxelles, IRE, 2019, p. 27-30, https://www.ibr-ire.be/docs/default-source/fr/Documents/regleme ntation-et-publications/Doctrine/communications/2019-09-Communication-CSA-15-04-2019.pdf.

S. Cools en J. Lannoy, “Keuze van een vennootschapsvorm: BV of NV?” in S. Cools (ed.), Lessen na twee jaar WVV, Roeselare Roularta, 2022, 200-202.

4. Présentation de la problématique

Dans la doctrine, les thèses suivantes sont défendues à propos de cette problématique[2] :

Première thèse

Selon la première thèse, défendue sur le terrain de la pratique des sociétés, il est possible de créer statutairement une SA dans laquelle la forme d’administration change en fonction du nombre d’administrateurs qui sont nommés ou qui sont en fonction, par analogie avec ce qui existe depuis longtemps dans la SRL[3]. Par exemple, dans cette thèse – dans la mesure où les statuts le prévoient – une diminution de trois administrateurs à un administrateur entraînerait automatiquement le passage d’un modèle d’administration avec un conseil d’administration vers un administrateur unique[4].

Cette thèse repose sur l’idée que le CSA ne contient aucune disposition légale explicite qui traite du changement du nombre d’administrateurs et de son impact sur la forme d’administration à utiliser, ni aucune disposition qui s’oppose implicitement à la méthode proposée.

Deuxième thèse

Selon la deuxième thèse, un choix statutaire explicite doit être fait pour adopter le modèle de l’administrateur unique, ce qui entrainerait qu’on ne peut pas prévoir les deux modèles d’administration dans les statuts d’une SA et qu’on ne peut dès lors pas non plus passer d’un modèle d’administration à l’autre sans modifier les statuts de la société à cette occasion[5].

Un argument formel en faveur de cette thèse est que le chapitre 1er du livre 7, titre 4 du CSA est divisé en plusieurs sections par forme d’administration, en indiquant expressément que les statuts doivent faire un choix si on ne veut pas appliquer le modèle de conseil d’administration.

L’article 7:85 CSA prévoit que « La société est administrée par un organe d’administration collégial, appelé conseil d’administration, qui compte au moins trois administrateurs » alors que l’article 7:101 CSA indique que « Les statuts peuvent prévoir que la société est administrée par un administrateur unique ».

5. Discussion

Les travaux parlementaires ne fournissent pas de base de réflexion sur cette problématique.

La première thèse est pragmatique car elle permet de passer d’un modèle d’administration à un autre sans formalisme excessif. Son inconvénient est que, le cas échéant, elle peut être moins transparente vis-à-vis des tiers quant à la forme d’administration employée par la société à un moment donné : en effet, les tiers doivent consulter le Moniteur belge ou la Banque-Carrefour des Entreprises afin de connaître le nombre d’administrateurs en fonction et de déduire par eux-mêmes, sur la base des statuts de la société, consultables publiquement, quel modèle de gouvernance s’applique.

Dans la deuxième thèse, la forme actuelle d’administration de la société est toujours claire pour les tiers.

Pour l’élaboration de cet avis, le Comité s’est principalement demandé dans quelle mesure la première thèse peut fonctionner de manière optimale, y compris pour les tiers, dans le cadre du texte légal actuel.

Ce faisant, le Comité a tenu compte du fait que la pratique a maintenant rattrapé les discussions doctrinales : contrairement à une partie importante de la doctrine, elle utilise pleinement la possibilité de prévoir les deux systèmes dans les statuts, avec une possibilité de conversion. Bien que le Comité n’ait pas pu se mettre d’accord sur l’interprétation correcte des articles 7:85, § 1er, alinéa 1er, et 7:101, § 1er, alinéa 1er CSA, il a décidé à l’unanimité, compte tenu de cette pratique répandue, d’émettre un avis sur son encadrement statutaire idéal.

Le Comité est d’avis qu’une clause statutaire protège au mieux les intérêts de la société et les droits des tiers si elle fait dépendre chaque conversion concrète d’une décision explicite de l’assemblée générale. La dynamique de la prise de décision au sein de l’organe d’administration est fondamentalement modifiée, de sorte qu’il n’est pas exagéré de demander à nouveau l’approbation des actionnaires. La décision de l’assemblée générale peut alors être publiée en vue de l’opposabilité aux tiers de la nouvelle forme d’administration. Sauf disposition contraire des statuts, l’assemblée générale peut prendre cette décision spécifique de conversion, qui dans la plupart des cas s’accompagne de la démission et/ou de la nomination d’un ou plusieurs administrateurs, par acte sous signature privée et à la majorité ordinaire : précisément parce que la possibilité de conversion est incluse dans les statuts, la décision d’en faire usage ne constitue pas une modification des statuts.

Certes, l’assemblée générale avait déjà fait un choix exprès en approuvant les dispositions des statuts. Elle pourrait également, dans certains cas, éviter activement la conversion automatique en ne nommant pas d’administrateur supplémentaire (auquel cas le modèle avec un administrateur unique continuerait à s’appliquer). De l’avis du comité, ces arguments ne sont pas décisifs : une constatation formelle de la conversion effective par l’assemblée générale reste nécessaire afin de garantir la sécurité juridique dans l’intérêt de la SA et des tiers.

Une conversion qui n’est liée qu’à la réalisation de conditions prédéterminées et produit donc automatiquement son effet, sans intervention de l’assemblée générale, comporte des risques importants pour la sécurité juridique.

En outre, il convient de veiller à la cohérence avec d’autres dispositions statutaires, par exemple les clauses de (double) signature (qui, selon l’article 7:93, §2, alinéa 2 CSA, doivent indiquer clairement si un pouvoir de signature est exercé seul ou conjointement).

La conversion fondée sur des conditions préalablement déterminées dans les statuts doit être rendue publique pour être opposable aux tiers. La simple publication des statuts, couplée aux publications de démission et de nomination des administrateurs au Moniteur belge et à la Banque-Carrefour des Entreprises, ne sont pas suffisantes. En effet, l’article 2:8, § 1er, al. 3, CSA juncto 2:14 CSA exigent non seulement de publier qui sont les administrateurs, mais également la manière dont ils exercent leurs pouvoirs : « soit seul, soit conjointement, soit en collège ».

6. Conclusion

Il n’y a pas d’unanimité au sein du comité sur la légalité d’une clause statutaire prévoyant la conversion du modèle d’administration moniste au modèle vers celui de l’administrateur unique (et vice versa) sans nouvelle modification des statuts, mais la pratique a clairement évolué dans une certaine direction.

Le Comité prépare une recommandation au législateur pour clarifier si, et le cas échéant, dans quelles conditions légales une telle clause est valide. En outre, le Comité note que la validité de cette clause n’est pas contestée dans la SRL, mais que même pour cette forme légale, il serait préférable de préciser dans la loi les conditions dans lesquelles les droits de la SRL et des tiers sont sauvegardés.

En attendant une modification législative, le Comité considère que, compte tenu des divergences de vues de la doctrine, seules les deux méthodes suivantes offrent une sécurité juridique totale :

  1. Soit opter pour un modèle de gouvernance dans les statuts sans possibilité de conversion ;
  2. Soit transformer la société en SRL, qui est la forme de base de la société à responsabilité limitée et où le cadre légal permet une conversion automatique (ce qui n’empêche pas que l’attention nécessaire doit également être accordée à la mise en œuvre concrète de celle-ci).

Dans l’intérêt de la pratique et dans l’attente d’une initiative législative, le Comité recommande les lignes directrices suivantes à ceux qui optent pour une clause de statutaire de conversion : une telle clause doit être rédigée de manière suffisamment détaillée pour éviter les malentendus, les problèmes d’interprétation ou les conséquences imprévues.

Il convient notamment de prêter attention aux points suivants :

  • les circonstances qui peuvent provoquer la conversion d’une administration moniste vers une forme d’administration avec administrateur unique et vice-versa, soit par une décision explicite de l’assemblée générale (par ex. révocation et/ou nomination), soit par la survenance d’une ou de plusieurs conditions déterminées dans les statuts (par ex. décès, interdiction professionnelle, incapacité, …). Dans tous les cas, le Comité considère que l’intervention de l’assemblée générale pour décider ou adopter la conversion est la meilleure option. Cette résolution de l’assemblée générale doit également être publiée ;
  • la durée des mandats en cours lors de la conversion d’une administration moniste vers un modèle d’administration avec un administrateur unique. Dans le silence des statuts, celui-ci ne pourra que poursuivre le mandat en cours de six ans ;
  • la manière dont la conversion est communiquée aux tiers, afin d’éviter l’insécurité juridique. La publication aux Annexes du Moniteur belge doit refléter le changement de forme d’administration. Les statuts précisent de préférence que toute conversion être publiée aux Annexes du Moniteur belge, pour satisfaire aux dispositions de l’article 2:8, § 1er, al. 3, juncto 2:14 CSA ;
  • les prérogatives particulières et charges qui peuvent être conférées statutairement à l’administrateur unique en vertu du CSA (par exemple, la responsabilité solidaire, le droit de veto,…) ;
  • la cohérence avec d’autres dispositions statutaires, par ex. les modalités de représentation, qui doivent prendre en compte les deux formes alternatives d’administration.

[1] Le présent avis traite exclusivement la question de savoir si, dans une SA, une règle statutaire peut être adoptée pour la conversion du modèle d’administration avec un conseil d’administration vers le modèle de l’administrateur unique (ou inversement). Il ne se prononce donc pas sur une conversion d’un modèle moniste vers un modèle dual (ou inversement).

[2] Plusieurs auteurs ne s’expriment pas dans un sens ni dans l’autre. Voir K. Maresceau, De nieuwe vennootschapswet – een eerste commentaar, Kluwer, Malines, 2019, 71 ; G. Callens, A. Cautaerts, H. Culot, Y. De Cordt, G. De Pierpont, T. Flament, E. Fosseprez, J. Gollier, A. Hannouille en N. Tissot, Société anonyme – deuxième édition in Répertoire pratique du droit belge, Bruxelles, Larcier, 2021, 255.

[3] S. Van Haute et H. Jansen, « Bestuur », in X, De NV in de praktijk¸ Malines, Kluwer, 2021, p. WVV-I.4.2 – 1 – 2.

[4] S. Van Haute et H. Jansen, « Bestuur », in X, De NV in de praktijk¸ Malines, Kluwer, 2021, p. WVV-I.4.2 – 1 – 2.

[5] P. Baert, “Art. 7:85 WVV”, in X, Vennootschappen en verenigingen – Artikelsgewijze commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer, Malines, Kluwer, 2020, 6-7; E. Leroux, “Verdeling van bestuursbevoegdheden in de naamloze vennootschap”, in X, Bestuur in de NV, Mortsel, Intersentia, 2022, 6; R. Houben, “De bestuurder – Beschouwingen over bijkomende vereenvoudiging, flexibiliteit, uniformiteit – maar tegelijk over een verdere afslanking van de vennootschapsvormen”, TRV 2022, f. 3, 131; P. Bossard, CSA – Examen systématique du nouveau droit des sociétés non cotées et des associations, Limal, Anthemis, 2020, 521; H. De Wulf en M. Wyckaert, “Governance onder het WVV: bestuur, algemene vergadering en related party transactions”, in H. De Wulf en M. Wyckaert (eds.), Het WVV doorgelicht, Bruxelles, Intersentia, 2021, 194 et 199; B. Tilleman en K. Dewaele, Bestuur van vennootschappen in Recht en onderneming, Bruges, die Keure, 2022, 101; INSTITUUT VAN DE BEDRIJFSREVISOREN, “Mededeling 2019/09 omtrent de wet van 23 maart 2019 tot invoering van het Wetboek van vennootschappen en verenigingen en houdende diverse bepalingen”, Brussel, IBR, 2019, 27-30.